
5, Place de l’Église
19290 Sornac
Certains se souviendront peut-être de ma grand-mère, le Dr Marie-Andrée LAGROUA WEILL-HALLÉ (1916-1994), gynécologue obstétricienne de Paris, arrive en 1966 à Sornac, et tombe littéralement sous le charme de cette terre Corrézienne. A cette époque, elle recherche activement un pied à terre incarnant la paix et la tranquillité. Avec l’aide d’amis corréziens dont Jean FAUGERON, architecte Grand Prix de Rome originaire de Meymac, ma grand-mère porte son choix sur le Domaine de Gioux, situé entre les communes de Sornac et La Courtine. Malgré la rudesse du cadre de vie en pleine nature, elle apprécie tout particulièrement cette authenticité sans fioriture. La maison, alors sans eau ni électricité et dans un confort des plus sommaire, est éclairée aux bougies et s’anime dès lors que le foyer immense du feu de cheminé s’allume. Pour les besoins du quotidien, elle ne craint pas de se remonter les manches, et aime aller chercher l’eau au puits, à l’ancienne. Si ma grand-mère s’est sentie pleinement connectée à cet environnement, ce n’est pas sans raisons. Pour bien comprendre ce qui l’a attirée ici, il est important de revenir sur le combat de sa vie. En effet, elle aura été une pionnière à ouvrir le chemin vers l’accès à une contraception moderne, ce qui était considéré comme un délit à cette époque. La naissance de ce combat prend forme au cours de ses années d’études de médecine. En 1961, elle raconte dans la Grand’Peur d’aimer, une prise de conscience violente, alors qu’elle réalise son premier stage dans un service de chirurgie des hôpitaux de Paris. Elle entend des cris et y découvre l’horreur que les femmes subissent. A savoir, des avortements clandestins, réalisés par curetage sans anesthésie, par un corps médical qui légitime ces pratiques, au prétexte que l’extrême souffrance endurée par ces femmes lors des interventions, étaient sensées leur » ôte[r] l’envie de recommencer « . Profondément heurtée par ces « actes de tortures » et l’attitude médicale réservée aux femmes qui les subissent, ma grand-mère aura alors une véritable prise de conscience, qui l’orientera tout au long de sa vie, vers une recherche constante du bien être des femmes et des familles, du choix d’une maternité désirée ou non, dans le but d’éviter des drames humains et des souffrances inutiles.
Un autre évènement majeur de sa vie d’étudiante, fut la rencontre de son mari, de 40 ans son aînée, qui n’était autre que son professeur, le Dr Benjamin WEILL-HALLÉ (1875-1958), premier pédiatre au monde à avoir vacciné un bébé de la tuberculose en 1921. Ce grand-père, que je n’ai malheureusement pas connu, n’eut de cesse d’encourager et de se mobiliser avec ma grand-mère, pour mener à bien ce combat. L’ouvrage Tristes grossesses, de Danièle VOLDMAN et Annette WIEVIORKA, toutes deux directrices de recherche émérites au CNRS, retrace notamment l’intervention de ma grand-mère au procès des époux BAC. Âgés d’à peine 25 et 23 ans, les époux BAC ont été condamnés à 2 ans de prisons fermes pour avoir laissés mourir leur 4ème enfant, un bébé de 8 mois. Faute de moyens car vivant dans une grande misère, ils avaient privé leurs bébés malades de soins et d’aliments. Le 5ème enfant naîtra derrière les barreaux. Lors de ce procès, ma grand-mère témoigne en tant qu’experte et dénonce l’obscurantisme dont la France fait preuve, en matière de régulation des naissances. Ce couple, deviendra alors le symbole d’une jeunesse française, à bout d’un système qui ne leur offre aucun moyen sérieux, de prévenir ce type de drame. Comprenez qu’à cette époque, la loi de 1920 considère toute propagande anticonceptionnelle comme un délit. A l’instar des lanceurs d’alerte de notre décennie, ma grand-mère n’a eu de cesse de mener des actions visant à faire prendre conscience aux autorités de l’époque, de la nécessité absolue à modifier la loi qui, en plus d’interdire la contraception moderne, condamnait lourdement ceux et celles qui en faisait la propagande. Ma grand-mère en a d’ailleurs subi les conséquences, en recevant un blâme de l’Ordre des médecins, ainsi qu’une interdiction provisoire d’exercer, parce qu’elle avait promu une maternité volontaire au sein de son propre cabinet. Après avoir fondée en 1956 la « Maternité Heureuse », qui n’est autre que l’ancêtre du « Planning Familial », après des années de luttes acharnées au côté d’un réseau de médecins, d’intellectuels, de tout un vivier de la bourgeoisie parisienne et avec les campagnes de presses menées par les journaux Libération et France Observateur, l’opinion public change en profondeur. C’est en 1967 qu’est (enfin!) votée la loi NEUWIRTH, qui autorise l’usage de contraceptifs dont la pilule. A cette période, ma grand-mère avait déjà commencé à se retirer du monde de la politique, épuisée par ce long combat. Elle vient alors régulièrement trouvé le repos sur le Domaine de Gioux et commence à faire connaissance avec ses voisins et gens du pays. Décrite comme « un sacré personnage » par ceux qui l’ont connu, et malgré le fait qu’elle ait pu dénoter dans cet environnement, de solides liens se nouent avec le temps. Ils découvrent en réalité une femme, ayant à cœur d’aller à la rencontre des femmes et hommes et souhaitant par la suite, continuer à œuvrer pour l’Humain. Malheureusement, elle n’aura pas eu le temps de mener à terme son projet en Corrèze. C’est en janvier 1994, dix ans après avoir reçu la légion d’honneur des mains d’Yvette ROUDY, alors ministre des Droit de la femme, que ma grand-mère gravement malade, fait le choix de l’euthanasie. J’avais alors 6 ans et me rappelle avoir pu lui dire au revoir, bien que ne comprenant pas pleinement ce moment. Tout au long de sa vie et jusque dans ses derniers instants, ma grand-mère, le Dr Marie-Andrée LAGROUA WEILL-HALLÉ, aura été à la fois une pionnière sur le choix d’une maternité libre et choisie, et une précurseure sur la fin de vie. Aujourd’hui, le domaine de Gioux est une réserve naturelle et a pu être conservé par mon frère et moi.
Guillemette WEILL-HALLÉ
Sa petite-fille.